NATHALIE CHEZ LE COIFFEUR
Sous la conduite de Mme Meynard, la petite troupe avançait dans la rue de la Cité.
Devant, courait Julien un garçonnet de neuf ans suivi par Thomas son
frère aîné âgé de 13 ans ; les deux enfants avaient l'insouciance et la candeur que
l'on prête habituellement aux jeunes dans cette année 1975. Au côté de Mme Meynard, se
tenait Nathalie qui, elle aussi, suivait le groupe sans vraiment savoir où on la
conduisait. Il faut dire qu'en six mois, Nathalie avait passé son temps entre famille
d'accueil et centre d'hébergement ; a 14 ans, elle était ce qu'il convient d'appeler une
adolescente difficile.
Les talons de Mme Meynard claquaient sur les pavés de la ruelle. Mme Meynard, femme d'un
officier supérieur de l'armée de terre était une femme à la beauté froide et au
regard tranchant comme une lame, elle avait accepté Nathalie sous son toit pour la durée
des vacances avec la ferme intention de rabattre le caquet de la gamine. Tout en marchant,
elle toisait Nathalie et lui fit une remarque sur sa façon de se tenir ; elle tira
doucement sur la jupe plissée bleu marine qu'elle lui avait acheté la veille avec le
pull assorti et le chemisier blanc «des jeunes de bonne famille.
- « Nous arrivons » dit-elle avec un sourire
Nathalie leva la tête et vit une petite pancarte blanche en matière émaillée où
s'inscrivaient en noir les lettres «C O I F F E U R ». Mme Meynard, faisait
barrière de son corps et montrait de son bras la direction de l'entrée. Julien poussa la
porte et une sonnette tinta, Thomas lui emboîta le pas. Nathalie s'attarda devant la
façade bordeaux du magasin ; des vieilles photos jaunies par le soleil voulaient décorer
la devanture, sur la porte était inscrit : Boutinaud Marcel, COIFFURE HOMMES
- ENFANTS. Mme Meynard, poussa Nathalie à l'intérieur et lança un franc bonjour à
l'assemblée !
Une fois dans le magasin, Nathalie sentit cette odeur particulière des salons de
coiffure, une sorte de mélange de lotion, de poudre de riz, de talc et de shampooing. Le
salon était vide, seul un client était assis sur un des deux fauteuils de coiffure, un
énorme fauteuil en cuir rouge, il était enfermé dans une blouse de Nylon bleu. Autour
de lui, s'affairait un vieil homme, sans doute M. Boutinaud. Celui-ci portait une blouse
grise en drap épais et manouvrait une tondeuse à main dans le cou de son client. Il
grommela une sorte de bonjour et fit signe du menton en direction des chaises en paille
qui entouraient la pièce.
Les deux garçons, apparemment habitués de l'endroit s'assirent et se jetèrent sur les
quelques malheureuses revues posées sur une table basse.
Mme Meynard fit signe à Nathalie de venir s'asseoir près d'elle, sur la chaise la
plus proche du fauteuil. Une boule d'angoisse restait prisonnière dans la gorge de
Nathalie, une peur atroce lui vrillait l'estomac, elle était totalement ébahie de se
retrouver dans un tel endroit. Elle finit par s'asseoir, le cliquetis de la tondeuse lui
résonnant dans la tête.
- « Tu vas voir, Monsieur Boutinaud est très gentil avec les jeunes, il ne faut pas le
contrarier, c'est tout » susurra Mme Meynard à l'oreille de Nathalie tout en lui
caressant les cheveux.
La jeune fille était prête à réagir quand le claquement de la blouse troua le silence,
quelques cheveux volèrent et le client se levait déjà, se dirigeant vers une sorte de
comptoir afin de régler sa coupe. Le coiffeur encaissa l'argent et revint vers le
fauteuil en regardant Nathalie, il tapa un coup sec de serviette sur le dossier du siège
et le fit pivoter, invitant ainsi le client suivant à venir s'installer.
- «Julien, a ton tour » dit Mme Meynard.
Le gamin accourut vers le fauteuil et s'y hissa ; dans le même temps, le coiffeur refit
pivoter le fauteuil face à la glace. Tout en fixant autour du cou du jeune garçon un
peignoir de Nylon bleu, il demanda à Mme Meynard si l'on faisait la même coupe qu'à
l'habitude. Celle-ci répondit par l'affirmative pendant M. Boutinaud prit un linge blanc
sur le dessus d'une étagère, il le fit claquer en le dépliant, puis l'étala sur les
épaules de Julien avant de l'introduire dans le col de la blouse en l'accompagnant de
quelques bandes de coton supplémentaires afin de rendre cet habillage bien hermétique.
La tête de Julien semblait minuscule au milieu de ce fauteuil. Le coiffeur pompa
avec le pied trois ou quatre coups afin de mettre le garçonnet a la bonne hauteur.
- «Il n'a pourtant pas les cheveux bien longs » pensa Nathalie au moment où le coiffeur
commençait à saupoudrer la nuque du gosse avec une houppette chargée de poudre de riz.
Sa main ouvrit ensuite un tiroir pour en extirper une tondeuse aux larges dents, il força
Julien à plier la tête et attaqua directement le bas de la nuque. Nathalie n'arrivait à
détacher son regard de cette scène, elle ressentait dans sa chair chaque
mouvement de la tondeuse, les bandes blanches que dessinait l'ustensile sur la nuque du
gosse la faisaient frémir.
- « Reste calme, voyons, lui souffla Mme Meynard en lui passant une main sur la nuque, tu
ne crains rien avec nous, ton tour viendra plus tard, ne t'inquiètes pas.... »
Nathalie fut prise d'une folle envie de crier, de se lever et appeler au secours mais elle
se savait aussi prisonnière quelque part de sa conduite, il fallait qu'elle tienne bon si
elle ne voulait pas revenir dans ces centres d'hébergement qu'elle haïssait plus que
tout. Pendant ce temps, M. Boutinaud continuait son travail avec application : après la
nuque, la tempe droite puis la tempe gauche, la serviette blanche sur les épaules de
Julien était recouverte de petits cheveux. Le coiffeur avait posé sa première tondeuse
pour en prendre une autre, plus petite, plus fine qu'il repassait avec soin sur la nuque
et les tempes du jeune garçon, entrecoupant les passes par un léger nappage de
poudre de riz. Posant la tondeuse, il entreprit de coiffer les cheveux du dessus et
commença à les couper à l'aide de ciseaux sculpteurs aux larges dents. Nathalie ne
parvenait toujours pas à détacher son regard de la nuque de l'enfant si frêle, si
blanche, si tondue.
- «Et Thomas ? ? » se demanda Nathalie, elle se tourna vers lui et vit le jeune
adolescent se tortiller sur sa chaise. Il ne semblait pas avoir une envie folle de faire
couper ses cheveux, lui non plus. Il faut dire, qu'à cette époque, les enfants
imposaient rarement leur goût en la matière.
Le claquement sec de la blouse se fit à nouveau entendre, les cheveux bruns de Julien
s'envolèrent et se mélangèrent aux autres tombés sur le sol.
Julien se leva en touchant sa nuque et se dirigea vers sa chaise. Au passage, sa mère le
complimenta sur sa coiffure et sa bonne tenue.
Retentit alors le coup sec de serviette sur le dossier du fauteuil invitant ainsi le
suivant à venir s'installer.
- « Thomas ! » dit Mme Meynard. Et dépêches toi un peu pour réagir !
Le garçon posa son livre et se dirigea vers le fauteuil de cuir qui lui tendait déjà
les bras. Le coiffeur semblait particulièrement enthousiaste en voyant s'approchait
Thomas. En effet ce dernier portait les cheveux plus longs que son frère et Nathalie
pensait que c'était dû à leur âge différent.
Aussitôt assis, à l'instar de son frère, Thomas fut enveloppé de la même manière
avec un rien de méchanceté et de fermeté dans les gestes du coiffeur.
- « Alors, dit-il, il paraît que tu étais malade le mois dernier, et c'est pour cela
que tu n'as pu venir faire couper tes cheveux ! ! ! »
- « Oui, monsieur, une grippe » répondit Thomas en baissant les yeux.
- « Une grippe, au mois de juin, on aura tout vu. Enfin, c'est ton problème.
On fait la même coupe que pour son frère ? demanda le coiffeur
Mme Meynard se contenta de fermer les yeux en guise d'acquiescement.
- « Oh, pas aussi court derrière, s'il vous plaît, monsieur » balbutia Thomas.
- « Ah ! cette jeunesse, fit le vieux coiffeur, on va finir par tous les confondre avec
leurs cheveux longs. Regardez la nuque qu'il a, regardez ces petites bouclettes, on dirait
une fillette ! Désolé, jeune homme, je ne peux pas laisser cela comme ça »
Tout en parlant, il saisit la tondeuse et força Thomas à baisser la tête, offrant ainsi
sa nuque à l'assaut du coiffeur.
Ding Dong ! La sonnette de la porte tinta et une femme de forte corpulence fit son entrée
dans le salon. Le coiffeur resta la tondeuse levée et regarda dans la direction de la
porte.
- « Bien le Bonjour, tout le monde ! » dit-elle d'une voix joviale. Oh ! Mme Meynard,
vous nous avez emmené toute votre petite famille, aujourd'hui.
C'était Mme Boutinaud, la femme du coiffeur, elle revenait de faire son marché, elle
s'empressa de déposer son sac à commission, passa dans l'arrière-boutique et revint
vêtue d'une blouse blanche. Elle s'approcha de son mari, toujours dans l'attente et lui
relata les derniers potins entendus sur la place du marché. M. Boutinaud laissa retomber
sa tondeuse un instant et écouta d'un air amusé les bavardages de son épouse ; sa main
gauche maintenait toujours Thomas la tête baissée. Machinalement, il reprit la houppette
remplie de poudre de riz et saupoudra abondamment la nuque et les tempes de jeune garçon
qui semblait totalement figé.
L'instant d'après, elle vint vers Mme Meynard et recommença ses bavardages.
Nathalie se retourna vers Thomas, elle avait entendu le cliquetis de la tondeuse et déjà
un sillon blanc se dessinait sur la nuque du garçon, de plus en plus haut et de plus en
plus large.
- «Vous comptez un nouveau membre dans votre famille ? » interrogea la femme du
coiffeur. C'est une bien jolie jeune fille avec de si beaux cheveux
- « Oui, et nous venons pour les faire couper, car nous sommes une bien jolie jeune fille
avec de beaux cheveux mais aussi avec un caractère à mater de façon radicale si nous ne
voulons pas revenir dans le caniveau » répondit sèchement Mme Meynard.
La boule d'angoisse renoua le ventre de Nathalie, elle tripota machinalement les
mèches encadrant son visage. Son regard croisa celui de Thomas qui voyait tomber ses
cheveux à la vitesse de l'éclair, nuque et tempes tondues à ras ; le vieux coiffeur, un
oil fermé, lui peaufinait une coupe en brosse très courte.
Mme Boutinaud comprit qu'elle avait un peu trop parlé et se dirigea vers le deuxième
fauteuil et le retourna vers Nathalie en écartant une blouse de Nylon rose. Mme Meynard
fit lever la jeune fille et la conduisit vers la chaise. Nathalie comprit à ce moment ce
que devaient ressentir les vierges que l'on conduisait dans l'arène à l'époque romaine.
Sans le soutien de celle qui allait peut être devenir sa belle-mère, elle n'aurait pu
faire un pas. Le chemin lui parut interminable, une envie de vomir la tenaillait, elle ne
voyait que cette grosse femme et son peignoir en train de sourire.
Elle s'assit dans l'énorme fauteuil qui pivota immédiatement. Juste à ses
côtés, elle voyait dans le miroir les grimaces du jeune garçon qui subissait les
assauts de la tondeuse, elle finit par se dire qu'elle avait peut être un peu plus de
chance que lui, qu'elle était une fille et qu'on n'oserait sûrement pas lui couper les
cheveux aussi courts.
Mme Meynard resta debout devant elle, appuyée sur la tablette et sourit lorsque la
coiffeuse referma la blouse suivie de la serviette blanche au cou de Nathalie. Elle l'aida
même à maintenir ses cheveux en l'air le temps que la vieille insère les bandes de
coton qui l'étranglèrent un peu plus. La coiffeuse commença à brosser les cheveux de
Nathalie, elle les maintenait dans sa main gauche pour en faire une queue de cheval.
A sa gauche, retentit le claquement sec de la blouse suivi de l'envol des
cheveux de Thomas, elle vit dans la glace le jeune garçon quittait son fauteuil elle
croisa son regard rempli d'impuissance et de honte.
- «Alors, jeunette, qu'est ce qu'on fait de cette tignasse ? » dit le coiffeur en
s'approchant du fauteuil. A cet instant, Mme Boutinaud posait un élastique serré sur la
queue de cheval qu'elle venait de brosser.
- «Son visage est suffisamment fin pour supporter quelque chose de court, qu'en pensez
vous ? » interrogea Mme Meynard.
- «Oh, oui, à cet âge là, tout peut aller» renchérit la femme du coiffeur qui
semblait chercher quelque chose dans les tiroirs de la tablette.
Le coiffeur s'attarda à caresser les longs cheveux soyeux et légèrement ondulés de
Nathalie ; machinalement, il donna quelques coups de brosse supplémentaires.
Mme Meynard se rapprocha un peu plus de la jeune fille, se plaça derrière elle en lui
maintenant les épaules et la fixa longuement dans la glace
- «Ton tour est arrivé, Nathalie !» dit-elle calmement. Je pense qu'une coupe courte
lui sera bénéfique, plus elle sera courte et plus elle sera bénéfique! Elle se recula
pour laisser la place à l'artisan et à sa femme.
- « A vous de jouer, M. Boutinaud »
Nathalie voulut hurler mais aucun son ne sortit de sa gorge, le coiffeur, d'un air
entendu, empoignait déjà la queue de cheval avec sa main gauche tandis que la droite
actionnait une grosse paire de ciseaux. CRRRIIICC , CRRRICCC, la longue et épaisse
crinière résista un instant, tiraillant le cuir chevelu de Nathalie puis finit par
céder. La tête de la jeune fille partit en avant en même temps que ses larmes et ses
cris. Le vieil homme déposa la parure de cheveux sur la tablette, comme un trophée.
Nathalie secoua la tête, elle lui sembla plus légère, presque plus libre!
Mme Boutinaud se releva en criant : «Ca y est, je l'ai retrouvée!» Elle tenait une
boîte rectangulaire qu'elle mît à côté de la tresse de cheveux.
Au moment où elle l'ouvrit, Nathalie sentit son sang quitter ses veines, vit son visage
pâlir dans la glace. On l'aurait cru morte tant elle était blême! La boîte renfermait
une vieille tondeuse électrique, un engin démentiel, jamais elle n'avait vu de lames
aussi larges et menaçantes. Le coiffeur brancha immédiatement le cordon électrique et
appuya sur l'interrupteur. Le vrombissement aigu de l'appareil perça le silence du salon.
Il fouilla dans la boîte et en ressortit une sorte de sabot qu'il fixa sous la tondeuse.
Mme Meynard s'approcha encore une fois de Nathalie. « Bzzzzz » fit-elle, la main
fermée au-dessus de la tête de la jeune fille. «Tu vas aimer, j'en suis sûre et de
toutes façons, tu n'as pas le choix! »
Nathalie, au bord de la crise de nerfs, sentit comme une caresse dans sa nuque, la
coiffeuse lui saupoudrait déjà le cou de talc et de poudre de riz puis elle lui fit
incliner la tête vers l'avant, le cou bien tendu. Elle ne voyait plus rien, elle entendit
juste le Clic de l'interrupteur puis le bruit assourdissant de la tondeuse qui se
rapprochait de son cou.
« Bzzzzzzzzzzzzzzzzzz » Le premier contact fut doux, presque un frôlement agréable,
elle perçut le crépitement de ses cheveux entrant en contact avec les lames de la
tondeuse. La main puissante qui pesait sur le haut de son crâne lui interdisait tout
mouvement. Le deuxième passage la fit frémir, elle ressentit la froideur des lames dans
son cou ainsi qu'un léger courant d'air lui parcourir le dos. Bizarrement, après en
avoir eu si peur, elle était presque heureuse de subir cette tonte. Un mélange de peur
et de plaisir l'envahissait. Un nouveau nuage de poudre de riz lui permit de relever la
tête, elle ne put qu'apercevoir ses cheveux souillant maintenant la serviette blanche sur
ses épaules. La tondeuse vint se poser derrière son oreille et le miroir lui renvoya
l'arabesque plus claire qu'elle dessina sur sa tempe droite. Le côté gauche eut droit au
même traitement. Nathalie se renfonça dans le fauteuil et fixa sa belle-mère avec
audace.
- « Ah ! fit M. Boutinaud. On y voit un peu plus clair, non ? »
- « Oui, en effet, dit Nathalie, mais j'aimerais bien avoir la même coupe que Thomas.
Vous lui disiez tout à l'heure que l'on allait finir par confondre tous les garçons et
les filles avec leurs cheveux longs jeunesse, vous ne devriez rien avoir contre l'inverse
! »
Le vieux fut mouché par l'aplomb de la gamine.
- «Soit, dit-il, c'est toi qui l'auras voulu ! »
Alliant le geste à la parole, il refit basculer la tête de Nathalie vers l'avant
sans précaution. Il ôta le sabot de la tondeuse et la plaqua contre sa nuque. Elle
sentit aussitôt la morsure des lames sur sa peau, les cheveux tombaient en paquet sur ses
genoux puis finissaient leur chute sur le sol. La tondeuse monta encore plus haut que
précédemment et les tempes furent totalement réduites. Le dessus fut taillé en brosse
très près du crâne.
Nathalie faillit jouir pour la première fois de sa vie quand elle vit le vieux coiffeur
recharger sa houppette de poudre et l'aspergeait à nouveau.
Il finit la coupe à la tondeuse mécanique, calmement, raclant la tête quelquefois avec
son peigne pour s'assurer qu'aucun cheveu n'ait été oublié.
Mme Meynard se leva et passa un doigt manucuré dans le cou de Nathalie, elle se pencha
pour l'embrasser.
- « Ta nouvelle coiffure te vas à ravir, Nathalie, tu la porteras tout le temps que tu
seras avec nous » dit-elle d'une voix douce
Elle défît le peignoir avec douceur et aida Nathalie à se lever. Les cheveux volèrent
dans tous le salon. Nathalie était heureuse et souriait. Elle se cala sur l'épaule de
Mme Meynard et lui souffla :
- « Merci, .. Maman »
A SUIVRE .....