LES MALHEURS DE SOPHIE II
Les semaines se suivirent et Sophie ne sortait toujours pas du salon de coiffure. Son
esprit était indiciblement embrumé et tout son être dépendait à présent du bon
vouloir de Madame, sa patronne à la fois si belle et si autoritaire. Les tâches les plus
ingrates lui étaient toujours attribuées et elle navait toujours pas effectué la
moindre coupe de cheveux.
Les semaines se terminaient donc avec leur défilé de clientes qui passaient une à une
sous les doigts fébriles de Sophie ; elle navait guère de temps pour elle entre la
préparation des clientes, leur shampooing ou coloration et le nettoyage des locaux
quelle effectuait sur ses heures de repos ; la pauvre Sophie était exténuée.
Un samedi soir, le dernier du mois, Madame ferma la porte principale du salon aux
alentours des 17h00 après le départ de la dernière cliente puis elle frappa dans ses
mains. Aussitôt, toutes les employées se mirent en rang. Sophie fut la dernière à
saligner et se fit remarquer de toutes. Son aube était quelque peu tachée par les
colorations et les shampooings quelle avait dû faire dans la journée.
Elle remarqua que toutes ses collègues avaient pris le temps de changer de tenue, de
refaire leur maquillage et leur coiffure. Madame, tel un général passant ses troupes en
revue, défila devant chacune des employées. A toutes, sans exception, elle trouva
quelque chose à redire : une telle sur sa façon de se tenir, l'autre sur sa façon de
parler. Toutes eurent droit à une leçon de morale ! Cela paraissait habituel.
Sophie vit deux employées parmi celles qui portaient les cheveux les plus longs,
poussaient devant elle un énorme fauteuil de coiffeur en cuir rouge tandis que
dautres sempressaient docculter les baies vitrées. Madame finit son
sermon en se plaçant derrière le fauteuil.
- « Mesdemoiselles, le bilan général de ce mois reste moyen et je demande à toutes de
consentir à un effort certain. Malheureusement, quelques unes dentre vous ont
encore failli aux règles établies et il va falloir payer maintenant . Jappelle
donc à se présenter devant moi Mlles Valérie, Martine et Sophie.»
Valérie savança la première, les cheveux encore très court, sa dernière tonte
remontais à seulement trois semaines. Madame la toisa avec un rien de moquerie dans le
regard.
- « Ah ! ma pauvre Valérie, décidément les mises en plis vous procurent de gros
soucis, dit Madame en caressant le crâne de la gamine, vraiment beaucoup de soucis ! Je
suis obligée de vous demander de vous séparer des 5 ou 6 millimètres de cheveux
quil reste sur votre petite tête, ma douce. Martine va passer votre crâne à
l'OSTER 0000. Asseyez-vous immédiatement !
Sans aucune réaction, presque habituée à ce traitement, Valérie sinstalla dans
le fauteuil, Martine approcha, l'énorme tondeuse à la main. On mit une serviette sur les
épaules de Valérie, la jeune fille crispa ses mains sur la serviette. Assise dans le
fauteuil, les genoux serrés, un énorme nud dans la gorge, elle sentit bien vite la
tondeuse glisser sans résistance aucune sur ses cheveux déjà si courts , laissant
derrière son passage un sillon blanc. Quelques petits cheveux voletaient en silence au
fur et à mesure que la tondeuse progressait autour des oreilles, du front et de la nuque,
ne laissant que la peau plus blanche que jamais.
Bien vite, on secoua la serviette, Valérie résignée, se leva et passa une main
tremblante sur ses cheveux tondus à ras. Toutes les filles le regardèrent avec peine.
Depuis deux ans, Valérie était tondue chaque mois et jamais, elle ne sen était
plaint ; seul l'expression de son visage semblait transmettre la tristesse quelle
pouvait ressentir. Madame sen moquait !
- « Martine, ne partez pas et installez vous donc dans le fauteuil, dit la patronne
dun ton narquois. »
Martine faisait partie des ouvrières qualifiées du salon, de celles qui commandaient et
qui étaient autorisées à porter des coiffures souples et légères à l'instar de leur
patronne. Très étonnée, la fille obtempéra alors que Madame l'enfermait sous une cape
de nylon noir. Seule, la tête couronnée dune masse conséquente de cheveux blonds
émergeait de ce qui allait bien vite devenir pour elle une Chaise de Souffrance.
- « Mademoiselle Martine pense, quen mon absence, elle est autorisée à prendre
des initiatives et des directives concernant l'organisation du salon, allant même
jusquà discuter du goût de la clientèle. Une chose est à retenir, ma belle, si
l'on veut rester dans le commerce : le Client est roi et vous nêtes pas le Client.
Sophie va donc vous punir et par là-même nous montrer ses talents de coiffeuse. »
- « Une coupe courte, à votre choix, pour Martine, sil vous plaît, et court
signifie inférieur à deux centimètres ! » ordonna la patronne en poussant Sophie prés
du fauteuil.
Sophie commença par passer le peigne dans les cheveux bouclés de Martine, complètement
terrorisée. Elle rassembla les cheveux de Martine dans sa main gauche comme pour en faire
une queue de cheval puis elle saisit la tondeuse et l'appliqua sur les cheveux juste
au-dessus de sa main. La queue de cheval fut sectionnée dun coup et tomba au sol.
Martine fermait les yeux pour empêcher les larmes de couler. Sophie fixa un sabot sur la
tondeuse et fit basculer vers l'avant la tête de sa « cliente ». Elle posa la tondeuse
vrombissante sur la nuque de Martine et remonta jusquau sommet de la tête. Elle
tondit ainsi tout l'arrière de la coiffure de Martine qui devait sentir quelques courants
dair frais lui parcourir l'épiderme. Les tempes eurent droit au même traitement
puis elle termina par le front de la fille, laissant glisser les cheveux coupés sur son
visage. Sophie chercha sa patronne qui, du regard, l'incita à poursuivre. Elle ôta donc
le sabot de la tondeuse et entreprit de réaliser un profond dégradé de la nuque et des
tempes en remontant très haut avec la tondeuse sans sabot. Les mèches blondes avaient
glissées sur la cape noire qui enfermait Martine. De si beaux cheveux blonds aux reflets
couleur de soleil que Martine promenait sous les yeux de ses collègues envieuses. Sophie
remit un sabot sur l'outil et termina sa coupe en passant la tondeuse partout sur la tête
de Martine, coupant le reste des cheveux à la même longueur. La tondeuse se tut, Sophie
avait fini.
Elle chassa avec une brosse les cheveux restés sur le visage de Martine et dégrafa la
cape de nylon, envoyant ainsi les cheveux à terre. Martine senfuit, honteuse, sous
le regard amusé des autres employées.
Sophie semployait à nettoyer les lames de la tondeuse quand la voix autoritaire de
la patronne retentit.
« Et nous voici arrivées au clou de la soirée, nous voici arrivées à Sophie, notre
jeune et dernière recrue dont le premier mois de travail semble l'avoir éprouvée.
Regardez moi donc ça ! Regardez cette coiffure abominable, ce maquillage si peu soigné,
elle a tout dune souillon !
De plus, jai reçu plusieurs plaintes de la part de quelques clientes de confiance.
Les filles sourirent en voyant Sophie aussi désemparée et effrayée par les paroles de
Madame. Dès quelle baissait un peu la tête pour éviter le regard perçant de sa
patronne elle était obligée de retenir la mèche de cheveux qui lui tombait
systématiquement devant les yeux. La honte et la peur semparait doucement de son
corps et de son esprit.
- « Si vous vous souvenez bien de notre dernier entretien, je vous avais promis la
présence dun homme... Vous vous rappelez ? Eh bien, je vous présente Monsieur
ARSAC, Coiffeur depuis 1937, aujourdhui à la retraite, hélas, mais toujours prêt
à rendre service ! »
Elle installa Sophie sur le fauteuil de cuir rouge au moment où un vieil homme fit son
entrée. Les cheveux blancs, légèrement voûté, le vieux coiffeur sapprocha
delles ; il salua poliment Madame et sans plus de façon, il enveloppa Sophie dans
une cape de nylon bleu, déposa un linge de coton blanc sur ses épaules et l'inséra dans
le col de la cape quil serra fortement. Il pompa deux ou trois fois pour faire
monter le siège. Le cur de Sophie battait la chamade. Madame continuait de
présenter Monsieur ARSAC à l'assistance, insistant sur le point des hauts faits de
guerre en 1945 auxquels il avait participé surtout lors de la tonte de dizaines de
femmes. Pendant ce temps, le vieux coiffeur avait ouvert une sorte de valise contenant son
nécessaire à coiffer. Il enfila lui-même une blouse grise en drap et se munit dun
peigne et dune tondeuse à main. Il commença par lisser doucement le carré
plongeant de Sophie, appréciant la nuque bien dégagée de la jeune fille avec de petits
yeux malicieux. Il mit une main sur la tête de Sophie et la força à sincliner sur
le côté. Il commença la tonte par la tempe droite. Le cliquetis atroce des ressorts
métalliques retentissait dans l'oreille de Sophie. Il lui tondit tout le tour de la
tête, laissant le sommet et la frange intact, rendant ainsi le visage de la jeune
femme aussi grotesque que possible comme pour l'humilier. Elle avait des cheveux partout
sur les épaules et le visage.
Pour la première fois de sa vie, Sophie sentait une tondeuse mécanique courir sur ses
tempes. La situation lui inspirait plus encore un ce sentiment de soumission quelle
avait éprouvait lors de sa première coupe. Lorsquelle croisa le regard amusé de
sa patronne elle sentit en elle monter des décharges dadrénaline. Sans réellement
comprendre pourquoi, une sensation de plaisir la parcourait, son estomac était noué et
malgré cela chaque contact des lames froides sur sa peau la faisait frémir de façon si
subtile quelle en frissonnait, sattendant chaque fois à exploser. Bientôt,
ses cheveux furent coupés ras tout autour de sa tête.
Le vieux déposa sa tondeuse pour coiffer en arrière le dessus de la coiffure de Sophie,
il se recula, amusé. Sophie voyait ses collègues, silencieuses et compatissantes la
regarder avec effarement. Sophie put apercevoir dans un miroir lointain le bol que
formaient ses cheveux, la tondeuse à main avait taillé à une hauteur de coupe 0000 le
tour des oreilles, les pattes et la nuque Ses épaules étaient couvertes de mèches
inertes, coupées net.
Le coiffeur se saisit alors dune tondeuse électrique sur laquelle il fixa un petit
sabot. De la même façon quil venait de le faire avec le peigne, il coiffa avec la
tondeuse les cheveux de Sophie vers l'arrière. La tondeuse mordit la frange et de grandes
mèches glissèrent sur la cape bleue. La tondeuse sillonna entièrement son crâne ne
laissant derrière elle que de petits cheveux piquants qui crépitaient au passage de
l'engin . Le vieux posa son appareil et reprit le peigne sa tondeuse à main. Il la fit
cliqueter a nouveau touchant la peau et glissant sur le peigne afin de réaliser un «
fondu » pour que la séparation des côtés avec le dessus soit plus harmonieuse. Le
temps parut sarrêter, Ce que ressentait Sophie à ce moment là était délicieux.
Le coiffeur humecta les tempes et la nuque de la fille et y fit glisser un rasoir avant de
rendre sa liberté à Sophie qui courut jusquà un miroir pour y découvrir sa
nouvelle tête. A peine un centimètre sur le dessus, les oreilles très dégagées, les
tempes et la nuque blanches et rasées.
Madame sapprocha delle et la fit courber la tête, elle saupoudra doucement la
nuque de Sophie avec un peu de poudre de riz tout en la caressant gentiment.
- « Je ne tavais pas menti, je tavais bien assuré de la présence dun
homme, non ? Fais attention à toi et à ta conduite, ma fille, et tes cheveux pourront
peut être repousser un jour, sinon ;elle fixa la tondeuse posée devant elle.»
FIN DE LA DEUXIEME PARTIE