VIE PAYSANNE

Quelle fournaise en ce début d’août 1934 ! La sécheresse s’abattait partout et les animaux avaient du mal à se trouver de quoi se nourrir sans le secours de l’Homme. La Famille MONTEIL, les métayers des terres de FLAMORT, travaillait dur dans les champs afin de leur confectionner le fourrage nécessaire.

Il y avait le Gaston et Lucie, sa femme ainsi que Daniel, Marie et Céline, leurs trois enfants. Bien sûr, le Gaston aurait préféré avoir trois fils mais la vie en avait décidé autrement. Nous étions Mardi, vers 9 heures du matin, toute la famille ramassait la paille dans les champs depuis l’aube. C’était un travail dur et pénible, toutes ces gerbes de foin à charger sur la remorque puis à remiser dans les granges. Tout le monde maniait la fourche en suant sang et eau, Céline la cadette était fourbue. Ils travaillèrent ainsi toute la mâtinée sans relâche, jusqu’à ce que Gaston, d’un revers de manche pour essuyer la sueur qui coulait à son front, donna le signal pour prendre un peu de repos et se restaurer. Les enfants ne tardèrent pas à trouver un coin d’ombre et y installèrent le repas. Daniel courut chercher la bouteille de vin qui tremper dans la rivière et en servit une rasade à son père. Tous s’assirent en silence, regardant Gaston couper le pain. Ils mangèrent doucement, savourant chaque bouchée. Gaston regarda sa montre et se tourna vers sa femme

 

- " A quelle heure doit-il passer ? "

- " Il m’a dit vers les 14 heures, il doit d’abord faire les champs de PEYRAC et LABORDE. Et tu sais, il y a du monde là-bas. " Répondit Lucie, une bonne grosse fermière aux traits marqués par la vie rude qu’elle menait. Le fichu qu’elle portait sur la tête cachait ses cheveux déjà blancs, elle avait du être belle, autrefois.

- " Bon, je vais faire une petite sieste, les enfants, ne vous éloignez pas, Monsieur Marcel doit passer dans l’après-midi. Il va nous aérer la tête ! ! "

Céline trembla à ces mots : " Monsieur Marcel, déjà ! " Pensa-t-elle en caressant ses longs cheveux blonds. Un frisson parcourut son dos et malgré la température estivale, elle sentit un vent froid souffler dans son dos. Marie la regarda avec tristesse ; elle connaissait Monsieur Marcel, elle, par déjà trois fois, elle lui avait vendu sa chevelure, par trois fois, il l’avait tondue a blanc. Pour que les cheveux soient forts et sains pour la fabrication de bonnes perruques, l’âge minimum était de quatorze ans,. Céline venait d’avoir les siens depuis deux mois.

Une carriole tirée par un âne approchait lentement, on pouvait distinguer la poussière blanche que soulevaient au loin ses sabots.

Daniel vit s’approcher l’attelage et le héla du plus loin possible

La charrette approchait tranquillement, Céline, les mains crispées sur sa robe devinait maintenant le visage des occupants.

- " Bien le bonjour, la compagnie ! " fit un vieil homme en descendant de la carriole.  Un jeune homme, le cheveux ras sauta à l’arrière et commença à débarquer son chargement. " Alors, avez vous de beaux cheveux à me vendre cette année ? Je paie bien : tenez , voilà mes tarifs " Il tendit une feuille à Gaston qui l’étudia attentivement

- "  Les cheveux blancs ne vous intéressent pas à ce que je vois. C’est bien dommage ! Il tourna la tête vers Lucie avec un rien de réprobation dans le regard. J’ai les deux gamines qui peuvent vous intéressaient : Marie a deux année de pousse et sa sœur n’a jamais été tondue. Combien en donnez vous ? "

Marcel s’approcha des deux sœurs tandis que son commis installait un grand drap tendu à terre. Il examina d’un œil attentif les chevelures des deux filles.

- "  10 francs pour la grande brune et 20 francs pour la gamine.  Les cheveux blonds de cette longueur sont très recherchés surtout quand ils sont suffisamment épais comme ceux-là. Ca nous fait trente francs pour les deux et en plus, je coupe ceux du fiston pour rien, ça marche ? "

Julien, le commis avait installé un tabouret au centre du drap. Il y avait également disposé, tout à côté, une grosse panière en rotin gamin. Marcel marcha sur le drap et se plaça à l’arrière du tabouret, se pencha vers la panière et en ressortit une pièce de linge blanc qu’il tint écartée devant lui.

Lucie prit Marie par la main et la guida vers le tabouret. "  30 francs, tu te rends compte " lui dit elle en l’asseyant gentiment. Marcel fit claquer le linge blanc sur le et le noua au cou de Marie

" Deux ans de pousse ! ! ! Ca donne de quoi faire une moumoute courte " Dit Monsieur Marcel en égrainant les cheveux de l’adolescente pour en jaugeur à la fois la longueur et la propreté. Marie avait chaud et sa nuque était couverte de sueur fraîche. Marcel souleva les cheveux et les lissa du mieux possible. Julien, lui retenait la masse capillaire vers le haut .

La main de Marcel ressortit de la panière équipée d’une tondeuse à la fine denture, Julien tira sur la masse de cheveux vers l’avant, forçant ainsi Marie à plier la tête tandis que le Gaston lui emprisonnait les mains. Marcel posa sa tondeuse directement au bas de la nuque et le monstrueux cliquetis retentit dans la campagne. Céline n’arrivait pas à détacher ses yeux des bandes blanches qui apparaissait à l’arrière de la tondeuse dans le cou de sa sœur, c’était comme si elle ressentait dans ses entrailles chaque avancée de la tondeuse, elle se mit à trembler, sa mère posa une main amicale sur son épaule.

- " Du calme, trente francs, tu te rends pas compte, après tout ca repousse, je me suis déjà fait tondre plusieurs fois quand ils étaient encore bruns, ne t'inquiètes pas.... "

Pendant ce temps, Marcel continuait le travail avec application : Julien, lui, tirait sur les cheveux coupées de façon à avoir un minimum de perte. Il déposait ensuite les longues mèches à terre et commençaient à les peigner. Marcel, après avoir découvert la nuque et le contour des oreilles, remonta vers le haut de la tête. Sa technique était si parfaite qu’un eut dit qu’il enlevait d’un bloc les cheveux de Marie dont le crâne si frêle, si blanc, si tondu apparaissait sous le sillon de la tondeuse.

Il dénoua la cape où presque aucun cheveu n’était tombé, la secoua et nettoya son ustensile.

- " Julien, tu t’occupes du garçon pendant que j’arrange un peu ce tas. "

Le coiffeur s’agenouilla à côté des cheveux morts de Marie et les lissa amoureusement. Pour lui aussi, cela représentait une belle somme d’argent et mieux la marchandise était présentée, plus chère les perruquiers des grandes villes elle était. Il lorgna sur l’autre gamine et pensa qu’elle en avait pour une petite fortune sur la tête. A lui d’en tirer le meilleur !

Julien fit claquer la blouse comme son patron et appela le jeune Daniel. Le garçon se dirigea vers tabouret. Aussitôt assis, il fut enveloppé dans le linge. Ses cheveux ne représentant aucune valeur, la main du jeune coiffeur se posa au sommet de sa tête et le força à offrir sa nuque. Daniel transpirait beaucoup et Julien eut du mal à faire glisser correctement la tondeuse. Il saupoudra abondamment de talc la nuque et les tempes de jeune garçon afin d’assécher la peau et fit entendre enfin le cliquetis de la tondeuse. Un sillon blanc se dessina sur la nuque du garçon de plus en plus haut et de plus en plus large. Daniel grimaçait car la tondeuse lui tiraillait les cheveux. Céline la regardait courir sur la tête de son frère, une boule d'angoisse dans le ventre, elle triturait machinalement les longues mèches qui encadraient son visage. En un rien de temps, Daniel se retrouva aussi tondu que sa sœur et leurs crânes blanc luisaient au soleil.

" A ton tour, fillette " dit le vieux Marcel à Céline, tu vas voir, ça ne fait pas mal. "

Céline tremblait de tout son corps. Elle avait beau se dire que trente francs représentait une somme énorme pour ses parents, une peur immense l’avait envahie. Sa mère la guida jusqu’au tabouret qu’elle assimila tout de suite à un siège de torture. Elle se souvenait que, ce matin encore, sa mère l’aidait à coiffer ses longs cheveux blonds, à ajuster les barrettes dans ses cheveux afin de pouvoir dégager son visage. Elle se mit à pleurer. Lucie lui serra fort la main en l’asseyant sur le tabouret. Marcel buvait une gorgée de vin rouge, un peu excédé par tant de manière, il reposa la bouteille et fit claquer la cape blanche autour de Céline. Couper les cheveux rapporter plus que la tonte des moutons mais il fallait parfois faire preuve de patience !

Une fois assise sur le tabouret et enfermée dans le carcan de tissu blanc, Céline attendit le bon vouloir du coiffeur, qui pour se redonner du courage, absorba une autre lampée de vin. Il vérifia la qualité et la longueur des cheveux de la fille et d’un coup fit basculer sa tête vers l’avant. Il lissa les cheveux de Céline depuis la nuque, recouvrant ainsi son visage penché. Céline, la tête basse, les cheveux devant les yeux était au bord de la crise de larmes. Son estomac était vrillé par des pointes de feu et sa gorge nouée par une boule d’angoisse qu’elle n’arrivait pas à extraire.

Le peigne s’arrêta de démêler et une main puissante vint s’appuyer au sommet de son crâne, elle sentit Julien se plaçait devant elle. Elle perçut derrière elle le cliquetis significatif de la tondeuse et sentit enfin ses lames dures et froides se posaient au bas de sa nuque. A ce moment précis, Céline sentit son sang quitter ses veines. Les lames mordirent le bas de son cou, du côté droit et remontèrent doucement sur sept ou huit centimètres environ, elle se décalèrent un peu et reprirent le même chemin. Au fur et à mesure de la progression des lames, Julien faisait suivre la chevelure coupée à l’aide d’un peigne fin afin que toute la largeur de la nuque soit bien dégagée. Céline était d’une part soumise à la tonte de ses cheveux et d’autre part au tiraillement provoquée par Julien ; elle ne savait quelle partie lui provoquait le plus de souffrance. La tonte reprit, un peu plus haut cette fois. Malgré la chaleur, un vent frais courait sur sa nuque mise a nue. On pencha sa tête et les lames hachèrent les cheveux autour de l’oreille d’abord la droite, puis la gauche. Les tempes la brûlaient à cause du frottement du métal de la tondeuse devenue presque bouillante. Julien semblait, à chaque coup de tondeuse surpris par le détachement des cheveux et s’efforçait de les peigner les mieux possible malgré leur longueur impressionnante.

La main relâcha sa prise et Céline put relever la tête. Julien grimpa sur un promontoire de paille et tint relevés les cheveux de la fille, formant ainsi une grosse gerbe de boucles blondes. Il la tordit pour avoir une meilleure prise. Céline grimaça de douleur et découvrit sa mère, un main sur la bouche, au bord des larmes. Marcel, s’approcha d’elle, par devant. Elle vit les lames acérées de la tondeuse visaient son front et se mettre à cliqueter. Les cheveux sectionnés au ras de leur implantation finissaient dans la gerbe que tenait Julien. Etrangement, et pour la première fois de sa vie, Céline se sentit parcourue par un sentiment étrange : sa souffrance alliée à l’humiliation qu’elle subissait se transformait en plaisir . Elle se sentit honteuse mais au plus profond d’elle-même l’humidité qui suintait de ses entrailles trahissait son bonheur.

Julien reposa avec soin l’énorme natte de cheveux qui venait de se détacher de la tête de Céline. Marcel finissait de tondre avec soin le crâne de la jeune fille, caressant le court paillasson laissé par la tondeuse.

- " Voilà, tu en as pour deux ans, ça t’a plu ? "

Céline ne répondit pas et partit dans les champs, la tête rasée. Elle s’arrêta, à l’abri des regards et se caressa longtemps tout en massant son crâne tondu.

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